Du 22 juin au 9 octobre 2023
Eruoma Awashish : Kakike Ickote (Feu éternel)
Commissaire : Michael Patten
Les Passages Insolites
Maison Hazeur, Québec (QC)
Crédit photos : Stéphane Bourgeois – Photographe
L’exposition Kakike Ickote (Feu éternel) d’Eruoma Awashish nous transporte dans l’atmosphère intime des voûtes de la Maison Hazeur. Les qualités architecturales des plafonds bas, des murs de pierre et des arches renforcent la dimension historique du lieu tout en évoquant une aura de mystère et d’intrigue. Dans sa pratique, Awashish explore les relations complexes entre la spiritualité des Premières Nations, le christianisme et la colonisation. Elle est fascinée par les croisements et influences mutuelles de ces différents systèmes de croyance, ainsi que par les répercussions qu’ont eues leurs interrelations sur les peuples autochtones. Avec son art, elle cherche à remettre en question les discours dominants de la colonisation et à souligner la résilience autant que la force des communautés autochtones. Elle puise dans les formes artistiques et motifs traditionnels autochtones, ainsi que dans l’iconographie chrétienne, pour réaliser des œuvres qui témoignent de la complexité de ces relations.
Awashish cultive une véritable fascination pour le sacré. Ayant grandi dans une communauté où la religion catholique exerçait une influence considérable, elle s’est interrogée sur la fervente dévotion de ses grands-parents envers le catholicisme. Compte tenu de l’histoire troublante de l’Église catholique, notamment pour son rôle au sein d’événements tragiques tels que les pensionnats, Eruoma ne pouvait s’empêcher de s’enquérir sur la fidélité avec laquelle ses grands-parents récitaient leurs prières au chapelet tous les soirs.
En réfléchissant à ses observations, Awashish s’est remémorée combien, lorsqu’elle était enfant, ses grands-parents priaient le chapelet avec une telle rapidité que leurs mots semblaient se fondre les uns dans les autres. C’était comme si les mots étaient réduits à des sons, mais que cela ne diminuait en rien la profondeur du lien établi avec leur créateur. Elle en vint à comprendre que, pour ses grands-parents et pour bien d’autres comme eux, la connexion avec le créateur transcendait les prières ou les objets spécifiques employés. Avec l’arrivée de l’Église catholique et de ses prêtres dans leurs communautés, ils avaient été contraints à prier différemment alors qu’au fond, l’essence de leur lien avec leur créateur demeurait la même. Cette réalisation fondamentale a approfondi l’appréciation de l’artiste pour la résilience et la force spirituelle de sa communauté, quelles que soient les influences extérieures ayant altéré les coutumes de ses ancêtres.
L’objectif de l’artiste est de dépeindre les conséquences profondes du colonialisme et de l’Église catholique sur sa communauté. Elle a notamment choisi délibérément un symbole catholique, une croix, qu’elle a recouverte de fil rouge tissé pour l’œuvre Sans titre. Cette métaphore puissante renvoie aux efforts en cours pour guérir les blessures causées par la colonisation. L’acte de réparation fait ici allusion à celui de suturer une blessure physique, à l’image du parcours de guérison personnel et collectif que représente le corpus d’Awashish. Il évoque aussi plus largement la décolonisation des symboles et le retour à l’essence du spirituel. L’artiste cherche à retirer les couches de sens imposées par des influences extérieures et à retrouver les fondements du sacré. Ce faisant, elle vise à exhumer la spiritualité de son peuple et à guérir les blessures causées par les héritages interreliés du colonialisme et de l’Église catholique.
Les corbeaux sont un autre élément récurrent dans le travail d’Awashish. Lorsque son cousin lui a parlé d’une connaissance qui tuait des corbeaux comme cibles d’entraînement, l’artiste a été choquée par les meurtres insensés et a demandé de récupérer les corps pour ses œuvres d’art avant qu’ils ne soient jetés. Avec son corbeau sur la croix, Le Messager est une œuvre qui incite la réflexion, honore le sacrifice de l’animal et prône le respect pour tous les êtres vivants, un principe central aux traditions et visions du monde autochtones. Ce message est particulièrement crucial aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés à des défis environnementaux et écologiques sans précédent.
Dans les œuvres d’Awashish, les corbeaux sont souvent représentés comme des messagers capables de voyager entre les mondes céleste et terrestre. Dans Pakoserimowin / Prière, une volée de corbeaux plane au-dessus d’un cercle de tabac sacré avec des rubans de satin rouge ornés de clochettes, dans une puissante allusion à la prière. La danse de la robe à clochettes est bien plus qu’un spectacle visuel: elle représente un voyage spirituel de guérison. Le tabac joue un rôle important dans les cultures autochtones, en particulier chez les Premières Nations. Il est utilisé à des fins médicinales et cérémonielles depuis de nombreuses générations et sert couramment d’offrande aux esprits dans les prières, en signe de gratitude.
Alors qu’elle se rendait au camp d’un ami, Awashish a croisé sur le bord de la route un renard renversé par une voiture. Elle a été immédiatement happée par son corps blessé, qui symbolisait pour elle l’impact du traumatisme. Dans Apprivoiser son âme, Awashish a inséré un tiroir débordant de chapelets dans la blessure du renard, à l‘instar d’entrailles et de viscères. Elle a placé de l’eau, de la nourriture et du tabac au sol pour attirer et apprivoiser le renard blessé. L’installation est une représentation métaphorique des peuples autochtones, chez qui la volonté d’être vu et connecté est compromise par les peurs et les blessures internalisées. Apprivoiser son âme reflète le processus difficile de décolonisation et la nécessité de créer des espaces accueillants et confortables pour que la guérison puisse avoir lieu. Awashish souligne l’importance de respecter les individus en processus de guérison pour leur permettre de renouer avec leur spiritualité et leur identité à leur propre rythme.
L’utilisation de restes animaux dans l’art est souvent considérée comme une pratique coloniale qui évacue les significations culturelles des animaux chez les peuples autochtones. Pour de nombreuses communautés autochtones, les animaux sont des êtres sacrés avec une valeur spirituelle et l’utilisation de leurs restes dans l’art peut être considérée comme une violation des croyances culturelles. D’ailleurs, lorsque des artistes autochtones incorporent la taxidermie dans leur pratique, ceux-ci courent le risque de perpétuer les stéréotypes selon lesquels les peuples autochtones seraient « primitifs » ou « sauvages », marginalisant d’autant plus les artistes autochtones et leur travail. D’un autre côté, certains utilisent la taxidermie pour se réapproprier leur héritage culturel et remettre en question les récits coloniaux. L’intégration de la taxidermie dans leurs œuvres est un moyen d’établir des liens avec leurs ancêtres, d’honorer leurs traditions culturelles, de remettre en question le canon artistique dominant de l’Occident et d’affirmer leur identité autochtone.
Atamik / À l’intérieur comprend un tapis d’ours qui était sur le point d’être mis au rebus avant que l’artiste ne le récupère. Lorsqu’elle apprit le sort qui lui était réservé, Awashish s’est résolue à lui rendre sa dignité. Son intention était d’élever l’ours au-delà d’un simple objet et de le représenter en tant que mammifère vif et dynamique. Pour ce faire, elle a orné l’ours de rubans rouges associés aux tenues de cérémonie. Avec ces rubans rouges, elle souhaitait insuffler un profond sentiment de sacralité et évoquer l’essence vitale de l’ours.
Une des valeurs fondamentales qui guident la chasse autochtone repose sur la réciprocité des relations entre les humains et le reste du monde naturel. De nombreux chasseurs autochtones se considèrent gardiens du territoire et y reconnaissent l’interdépendance harmonieuse des êtres vivants. La chasse est non seulement comprise comme un moyen de subsistance, mais aussi comme un devoir de maintien de l’équilibre des écosystèmes et de préservation de la biodiversité. Les pratiques de chasse autochtones mettent l’accent sur le respect, la gratitude et l’utilisation soutenable des ressources. Les chasseurs suivent généralement des protocoles et des rituels traditionnels pour honorer les animaux chassés, en exprimant leur reconnaissance pour le sacrifice et en veillant à ce que les restes soient entièrement et respectueusement mis à profit.
Awashish a eu l’occasion de présenter son travail à l’intérieur et à l’extérieur de la Maison Hazeur. Des corneilles ont choisi l’escalier extérieur comme repère clandestin, se perchant gracieusement aux poutres et fenêtres environnantes pour s’attrouper. Leur présence évoque les relations entre la nature et la civilisation humaine. Elle nous rappelle que, derrière la façade de la domination humaine, le monde naturel occupe toujours la place qui lui revient dans l’environnement. La congrégation discrète de corneilles fait également écho aux profondeurs cachées et aux histoires non dites qui recèlent les murs de la Maison Hazeur, et qui n’attendent qu’à être déterrées par de curieux explorateurs.